Début des années 70, Slabfork, bourgade industrielle de moins de 1 000 habitants au cœur de la Virginie Occidentale, petit état rural de l'Est américain pas franchement réputé pour sa production musicale. Là-bas, Bill Withers, trente ans, tout juste, travaille à l'usine du coin. Ses journées sont rythmées par l'assemblage de cabines de toilette pour les avions Boeing.
Du genre discret et solitaire, l'homme aime passer son temps libre à gratter sa guitare et composer quelques chansons. Il a bien essayé de se professionnaliser en approchant quelques maisons de disque, mais à l'aube des 70's, un homme seul à la guitare acoustique, pas franchement charismatique de prime abord, ça ne fait pas rêver.
Durant son temps libre, Bill Withers regarde également des films et l'un d'eux va particulièrement le marquer. Il s'agit du "Jour du vin et des Roses" de Blake Edwards, sorti au cinéma en 1962. Mettant en scène Jack Lemmon et Lee Remick, le film raconte l'histoire d'un alcoolique mondain, en proie à la dépression, qui va rencontrer une femme l'aidant à remonter la pente avant de plonger à nouveau à ses côtés. Une fois le film terminé, Bill Withers part se balader et repense à ce qu'il vient de voir. C'est alors que les paroles de ce qui deviendra Ain't No Sunshine commencent à lui venir.
Quelques paroles et une ligne de guitare, voici ce qui compose la démo que reçoit le producteur Clarence Avant sur son bureau. Malgré le côté peu dégrossi de la démo envoyée par l'artiste, Clarence Avant perçoit le potentiel d'Ain't No Sunshine et de son auteur. Il propose de lui signer un contrat pour l'enregistrement et l'édition d'un album. Bill Withers, qui ne dispose alors d'aucune autre offre, accepte.
En studio, l'inexpérimenté chanteur de Slabfork fait équipe avec Booker T & The MG's. Lorsqu'il se présente devant ces légendes de la Soul de Memphis, Withers peine à cacher son intimidation teintée d'admiration. Muni de sa guitare, il leur présente alors sa version d'Ain't No Sunshine. Une version pas tout à fait terminée puisqu'en attendant de composer le dernier couplet, il remplace les paroles par 26 "I Know" répétés en boucle. Cette courte phrase énoncée encore et encore offre une profondeur dramatique et mélancolique à la chanson. Booker T. Jones s'en rend bien compte et persuade alors le chanteur de laisser ce couplet intact.
Sorti en 1971, Ain't No Sunshine s'empare rapidement de la 3e place du Bilboard Hot 100 et lance immédiatement la carrière de Bill Withers. Depuis, plusieurs centaines d'artistes à travers le monde ont proposé leur version de la chanson. De Michael Jackson à Sting, en passant par Nancy Sinatra, Isaac Hayes, Neil Diamond ou Al Jarreau, tous ont repris cette ballade métaphorique sur le manque de l'être aimé et la solitude.